Christian Dall'Agnese

 

Fils de paysans du Lot et Garonne, où je suis né en 1955, j’ai étudié  l’électronique.

J’ai commencé ma carrière en tant qu’agent technique, dans un bureau d’études. Au bout de quelques années, je suis devenu ingénieur d’application dans une société américaine, puis responsable commercial en charge de l’Europe du sud

J’ai changé plusieurs fois de société.

A l’approche de la cinquantaine, conscient du changement de comportement des entreprises et du peu de possibilités qu’elles offraient aux seniors, je me suis préparé à une reconversion.

J’ai d’abord suivi une formation d’ébéniste puis j’ai obtenu un diplôme de restaurateur de meubles d’art.

En 2010, aidé par ma famille et mes amis,  j’ai débuté la construction de mon atelier en Val d’Azun. Il est entièrement en bois et nous l’avons réalisé nous-mêmes. Une formidable aventure humaine.

En 2012,une nouvelle vie commence!

 


 

 

Enfance

C’est à Montpouillan, petit village du Lot et Garonne situé près de Marmande, que j’ai vu le jour, en 1955. Fils d’une française et d’un immigré italien ayant fui la misère, j’ai grandi dans une petite ferme. Au début simple masure, la maison de mes parents s’est, grâce à leur énergie et leur joie de vivre, améliorée au fils du temps.

J’allais à l’école du village et malgré ma dyslexie, ignorée à cette époque, j’aimais apprendre.

De mon enfance, je garde un souvenir de liberté : courses dans les prairies, fabrication de cabanes, pêche dans le canal du midi.

 

Etudes

L’entrée en sixième, en internat au lycée de Marmande, mit fin à mon indépendance. Supportant difficilement cet enfermement, pénalisé par mes difficultés orthographiques, je me sentais pris en étau. Mes résultats scolaires s’en ressentirent.

Fort heureusement, l’année suivante, l’ouverture d’un CES mit fin à mon exil. Je retrouvai la maison familiale, les champs, les bois, le gazouillis des oiseaux, le passage des saisons : bourgeons, fleurs, feuilles rousses et sèches.

Ma scolarité se poursuivit, plus ou moins bien, l’école n’était pas au centre de mes préoccupations, je lui préférais la nature !

Quand, en troisième, il fallut choisir une orientation, j’optai pour une filière technique, je voulais étudier l’électronique. Un choix surprenant pour un petit gars de la campagne ! Mais j’avais ouvert un poste radio à transistors et, intrigué par son fonctionnement, je voulais en savoir plus.

J’intégrai donc le lycée Saint-Cricq de Pau où j’obtins le bac. Ces années-là, j’ai aussi, en de longues et superbes randonnées, découvert les Pyrénées. La montagne est restée dans mon cœur.

Je continuai mes études à l’IUT de Bordeaux pour décrocher un DUT en électronique et automatisme puis à Limoges, où je passai une licence Télécom. C’est dans cette ville que j’ai rencontré mon épouse.

Je ne pus échapper au service militaire, obligatoire à l’époque, et dus me ranger sous les drapeaux avant de rejoindre celle que j’aimais et commencer ma vie professionnelle.

 

Technicien

Elle débuta à Paris, en automne 1979, dans les locaux de la Sagem, en tant qu’agent  technique en électronique. Nous étions alors une dizaine, dans un petit laboratoire, chargés de créer des systèmes informatiques. Un travail d’équipe, précis, dans une bonne ambiance. Le soir, je suivais des cours au CNAM, dans le but de devenir ingénieur.

Au fil du temps ma perception de l’entreprise Sagem s’affina, je me rendis compte de sa rigidité et du peu de possibilités futures qu’elle m’offrait. C’est pourquoi, lorsque Western Digital, une société américaine, me proposa un poste d’ingénieur d’application, je décidai d’accepter.

Ce fut le début d’une période très excitante sur le plan professionnel. J’étais conseiller technique dans une société en pleine expansion qui produisait des composants électroniques. C’était le démarrage de la micro-informatique, les commandes se multipliaient, les produits se diversifiaient.

Ma zone d’intervention était l’Europe du sud et la formation aux produits était basée en Californie, près de Los Angeles. J’allais d’un continent à l’autre, désormais familier des aéroports, des hôtels élégants, des séminaires de travail dans de luxueux golfs.

Je me souviens encore du jour où un responsable marketing nous présenta une carte réseau local permettant d’échanger des informations entre ordinateurs, son nom StarLAN (réseau en étoile). La révolution des réseaux venait de commencer !

 

Commercial

Ma licence de communication me permettant de mieux comprendre, et expliquer, cette nouvelle technologie, je changeai de poste et devins commercial. Je me suis adapté, la demande était infinie et le montant de mon salaire suivait la croissance des ventes. Mais, au niveau global, Western Digital avait une rentabilité en baisse et l’entité réseau fut vendue à une autre entreprise américaine, SMC, qui m’embaucha pour monter entièrement sa filiale Europe du sud. J’étais seul à bord et cette expérience fut très instructive.

 

Manageur

Je constituai une équipe d’une dizaine de personnes. Devenu manager, je voyageais sans cesse, je recrutais de nouveaux employés, le chiffre d’affaires croissait, les objectifs de vente aussi, jusqu’au jour où ils ne furent plus atteints. On me signifia alors mon congé.

Ce fut ma première période de chômage.

Quelques mois plus tard je décrochai un poste de commercial pour la France, chez Security Dynamic, une autre société américaine qui commercialisait des badges d’accès sécurisé pour les systèmes informatiques. Je découvris sans enthousiasme la vente directe aux grandes entreprises françaises, la lourdeur des contacts, la suspicion des services de sécurité et les petits arrangements. Au bout de seulement deux ans la société mit fin à mon contrat.

La conjoncture avait changé et il était beaucoup plus difficile qu’auparavant de trouver un emploi. Ne voyant pas, malgré de constantes recherches, la fin de cette nouvelle période de chômage, je décidai de passer à l’action et me rendis à Dallas, où se tenait Interop, un salon important pour le monde des réseaux afin de dénicher une entreprise voulant se développer en Europe du Sud.

Mon audace paya, et j’entrai à Concord Communication, une petite start-up dotée une croissance à deux chiffres. Quittant le domaine du hardware pour celui du software, j’étais chargé de vendre des logiciels de mesure des performances des réseaux. Lorsque j’intégrai la société, elle n’avait qu’un distributeur en France. En quelques années d’un travail intense, je parvins à considérablement développer le marché en Europe du sud. Mon équipe s’agrandit, nous participions à de nombreux salons et à des meetings. Tout allait pour le mieux jusqu’au moment où un énorme prédateur, connu pour ses méthodes infâmes, nous a dévorés.

Un an après le rachat, débuta la phase d’intégration. Du dynamisme de la vente, je passai au « cachot » de l’administration. Procédures, documents, réunions, hiérarchie, surveillance sournoise, perte de temps et sentiment d’inutilité qui grossissait au fil des mois.

Après des années à décider, assumer des responsabilités et voyager je me retrouvai coincé dans deux mètres carrés, sans réel contact avec les clients, sans liberté, sans perspectives.

Mon espace rétrécissait. J’avais l’impression d’étouffer.

Je m’avisai alors que la moyenne d’âge des employés avait considérablement baissé, ceux de ma génération avaient peu à peu été évincés et, dans les couloirs, rôdait le mot « compression ».

Ce fut le déclic.

 

Préparer le changement

J’avais plus de cinquante ans, donc pratiquement aucune chance de retrouver un travail dans une entreprise mais la possibilité, grâce au Congé Individuel de Formation, d’apprendre un nouveau métier.

Une chance à saisir.

J’avais gardé de mon enfance le goût de la nature et le sens du travail lentement accompli. J’aimais les arbres, la texture du bois, les meubles anciens.

Le désir de m’installer dans ces montagnes de Pyrénées que j’avais tant aimées dans ma jeunesse et d’y vivre une vie saine était réalisable.

Je décidai de remiser à jamais ma cravate et mon attaché-case et d’entreprendre une formation  d’ébéniste, afin de monter un atelier dans les Hautes Pyrénées, en Val d’Azun.  

Elle débuta en septembre 2008, au Thor, à l’école supérieure d’ébénisterie d’Avignon. Dans une ambiance studieuse mais détendue, guidé par d’excellents professeurs, j’appris avec passion le travail du bois. Le charme de la Provence effaça très vite le souvenir des bureaux de la Défense.

Le meuble que je réalisai comme œuvre de fin d’études fut un bureau cylindre. Il symbolisait pour moi la réflexion intellectuelle. Assis à un bureau, on lit, on écrit. J’avais réussi professionnellement mais  gardé la sensation d’un manque culturel, un manque artistique aussi, que j’allais m’appliquer à combler.

Dès la fin de la formation, je me suis installé en Val d’Azun  pour préparer la création de l’atelier.

Quelques mois plus tard, je commençai à suivre les cours de l’AFPA de Limoges pour apprendre la restauration de meubles anciens. Voici un extrait de la lettre de motivation que j’écrivis pour être accepté à la formation :

« Ceci est d’ailleurs une sorte de réponse à cette société d’aujourd’hui qui refuse de reconnaître ses aînés pour ne se consacrer qu’à la consommation, au produit jetable, à la vision à court terme. Le fait de restaurer des meubles, leur redonner une seconde vie, est ma modeste manière de vouloir faire changer ce comportement, et surtout de faire plaisir aux personnes qui me feront l’honneur de me confier leurs meubles à restaurer. »

A Limoges, j’appris comment panser les plaies des meubles pour leur permettre de revivre.

Il faut pour cela lire, décrypter l’ouvrage, comprendre son passé, interpréter les traces des outils, se mettre dans la peau de l’ébéniste qui, il y a cent, deux cents, trois cents ans parfois, a fabriqué le meuble (à la main, sans électricité, souvent avec peu de bois), connaître l’histoire de l’art et les différents styles qui se sont succédés.

Le formateur était passionnant et le petit groupe dont je faisais partie, très motivé.

 

Construire son outil de travail

En novembre 2010, j’étais de retour en Val d’Azun pour construire l’atelier. Ce fut une formidable aventure humaine. Mon épouse, mes enfants, mon frère, mes amis et mes compagnons de formation, d’Avignon et de Limoges, m’ont prêté main forte. Fondations, murs, charpente, nous avons tout réalisé nous-mêmes. Réunis dans le plaisir de bâtir, nous avons partagé les repas quotidiens, les moments de détente, les difficultés. Des plaies ont guéri, des larmes ont séché, de nombreux rires ont fusé.

Puis sont arrivées les premières machines et l’outillage.

La livraison du premier meuble a été effectuée en avril 2012.